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Argument en faveur de la thèse selon laquelle la photo célèbre est un montage.

Résumé :

Un mensonge peut-il dire du vrai ? Oui. (Surtout quand c'est une œuvre d'art).

Est-on une imposture de reporter quand on meurt en sautant sur une mine antipersonnelle au Vietnam ? Non.

Robert Capa, L'Homme et la Guerre, 1936.

Robert Capa, L'Homme et la Guerre, 1936.

La photographie du milicien frappé par une balle, connue sous le nom de l’Homme et la Guerre ou The Falling Soldier, est parue pour la première fois le 24 septembre 1936 dans le n° 445 de Vu, magazine créé par Lucien Vogel en 1928. Robert Capa, le photographe, a attesté avoir réalisé cette image lors de la bataille du 5 septembre 1936 à Cerro Muriano, pendant la guerre civile espagnole.

Accompagnée d’une autre photographie montrant le cadavre d’un soldat étendu sur le sol, cette photo qui eut un retentissement considérable montre un milicien républicain frappé par une balle en pleine tête, en train de tomber en écartant largement les bras et lâchant son fusil encore brandit vers le ciel. Le ciel au dessus de lui est lourd de nuages sombres et la plaine qui s’étend sur les deux tiers droits de l’image semble aride. La photo est ensuite parue seule dans Life, puis dans Paris-Soir, et à de multiples reprises jusqu’à s’imposer comme « la » photo de Robert Capa.

Robert Capa est le pseudonyme américanisé d’Endre Friedmann, né à Budapest le 22 octobre 1913. Exilé politique dès ses 17 ans et voulant faire carrière dans le journalisme, il apprend les rudiments du métier dans le laboratoire de Simon Gutmann à Berlin et réalise son premier reportage à Copenhague en 1932 où Trotski tenait un meeting. Ayant fui l’Allemagne en 1933 il retourne à Budapest et rencontre Gerda Pohorylles, dont il tombe amoureux, puis part pour Paris avec elle. Ils gagnent l’Espagne dès 1936, lorsque le conflit éclate, et changent leur nom pour devenir Robert Capa et Gerda Taro. C’est là que Capa forge sa réputation si bien qu’en 1938 Picture Post le consacre comme « le plus grand photographe de guerre ». Par la suite il couvrira des conflits en Chine, en Afrique du Nord, en Italie, le débarquement de Normandie, à Berlin, en Israël et enfin en Indochine où il trouvera la mort.

La seconde République espagnole proclamée le 14 avril 1931 est menacée dès le soulèvement de l’armée par le général Franco en 1936, qui obtient rapidement le soutient de Hitler et Mussolini pour renverser le régime, et qui déclare la guerre le 17 juillet. En Espagne deux clans se forment entre loyalistes, souhaitant protéger la République, où se fédèrent la gauche des socialistes jusqu’aux anarchistes, et franquistes, partisans du fascisme appuyé sur le pouvoir de l’Eglise catholique. La République, amputée de son armée étatique, est défendue par des milices spontanées, des civils, hommes femmes et adolescents, si bien que sur tout le territoire, la population est divisée. Politique et vie se mêlent.

Capa et Taro s’engagent aux cotés des républicains dès le 5 aout 1936. Capa se passionne pour la guerre d’Espagne. Il avait suivi les conférences de Paul Korsh qui désignait ce pays comme un terrain adéquat pour une société anarchiste idéale, et en effet les premiers temps de la guerre étaient propices à des essais utopistes. Comme la Hongrie, c’était un pays culturellement traversé par l’Islam et la culture gitane. Enfin l’amiral Horthy ayant mit en place un régime totalitaire en Hongrie, les manœuvres du général Franco devaient être vécues comme une répétition.

Le montage Capa. Est-ce que c'est grave d'être un artiste ?
L’avènement du photojournalisme

 

Quand l'image a supplanté le texte

 

La photographie de cet homme qui tombe touché par une balle en pleine tête est éloquente en elle-même. En tant que témoignage de la mort d’un milicien, l’image documente la guerre mieux qu’un article de journal qui relaterait un tel événement.

La presse illustrée avait commencé à se répandre depuis l’Allemagne dès les années 1930, après l’invention du Leica et du Rolleiflex, des appareils à rouleau créé en 1923 par Oskar Barnack, bien plus léger et maniable qu’un appareil à plaque. L’obturateur à rideau réduisant le temps d’exposition au millième de seconde permettait de saisir des personnages et des objets en mouvement sans matériel encombrant : des séries d’images pouvaient illustrer le texte des journalistes. C’étaient les prémices de ce qu’est objectivement la photographie de Federico Borell Garcia par Robert Capa. Cette photo-ci s’ancre dans le contexte de la guerre d’Espagne, une « guerre d’image », où la photographie a pris totalement le pas sur le texte pour relater l’actualité dans la presse internationale[1]. Cependant c’est la presse magazine qui relie le mieux l’actualité avec des documents plus vivants, comme dans le cas de la photo du milicien. Cette photographie est donc avant tout un document historique qui relate l’essor du photojournalisme. L’impact de balle qui frappe le milicien sur l’image est aussi l’impact des images, nouveau et fulgurant, sur les lecteurs des journaux et magazines de l’époque.

 

La légende vivante

 

 

 

Ce document relate aussi l’aventure du photographe : il se trouvait manifestement aux cotés du milicien, potentiellement à portée des tirs ennemis, un peu en contrebas, sans doute couché sur l’herbe sèche. Il aurait donc « dégainé » son appareil et « shooté » comme s’il était armé, pour saisir cette image choc. C’est en effet la figure du photoreporter courageux et engagé que l’on devine derrière l’appareil qui a pris ce cliché. Cette photographie en particulier encore mieux qu’une autre, puisque c’est Robert Capa de sa propre personne qui a été célébré le premier comme un photographe de guerre exceptionnel de son vivant, ce qui a donné la matière à ce que son frère Cornell Capa et son biographe Richard Whelan forgent son mythe et celui du photoreporter en général après sa mort. Capa est en effet le premier photographe à être cité à la une d’un journal (Regards du 10 décembre 1936). « Pour une belle photo, il donnerait tout l’or du monde plus sa vie », écrivait Charles Rebert dans le Soir du 27 mars 1937.

Capa se donnait effectivement pour mission de collecter des images poignantes pour lutter contre le fascisme, il envisageait son Leica,  comme une arme. La mort de Capa, qui saute sur une mine en voulant photographier de plus près une action d’infanterie le 25 mai 1954, ne peut que confirmer ce « mépris du danger » que relève le lieutenant ayant dressé le rapport établi à la suite de son décès.

 

Flou et grain : gage d'instantané ?

 

A travers ce document il faut aussi voir l’invention du prototype de l’image de guerre.

Le photographe était très près du milicien lorsqu’il a pris la photo, c’est ainsi qu’il a pu obtenir l’effet de contre plongé qui magnifie le sujet. Capa avait pour doctrine « si votre photo n’est pas bonne, c’est que vous n’êtes pas assez près ». Effectivement, la photographie de guerre a évolué sur le modèle de Capa, après son succès retentissant, et la proximité du photographe semble déterminer sa sincérité et la valeur-même de la photo.

Cette image prend « sur le vif » l’instant de la mort. Pas encore tombé mais ne tenant déjà plus sur ses jambes, le milicien vient d’être frappé par une balle en pleine tête ; il n’a plus le réflexe d’écarter ses doigts pour amortir sa chute de sa main gauche, et lâche son fusil de sa main droite. On peut imaginer Capa se couchant ventre à terre et dans la précipitation, prenant l’image dès que le milicien était entré dans son objectif, laissant une grande partie de l’image vide à cause du décadrage accidentel.

C’est cette lecture de l’instantané, du non-calculé et donc du miraculeux - car la photo est réussie - que commande le sujet de l’instant de la mort, et aussi le flou. Le flou donne son cachet à l’image de guerre, il indique la précipitation et le caractère purement documentaire de l’image. Le grain semble indiquer le « vécu » du négatif, et celui du reporter, comme pour les photographies qu’a réalisées Capa du débarquement à Omaha Beach pour le numéro de Life devant paraitre le 19 juin 1945, qui ont été développées dans des conditions difficiles, selon les possibilités précaires du reporter. La fortune de ce type d’image de guerre, floue, mal développée, parfois décadrée, montre que ce qui devait être un « moins » devient un « plus ». C’est devenu une esthétique, qui reflète la droiture du photoreporter de guerre : près des soldats, soucieux de donner un témoignage sincère avant toute chose.

 

Cependant, cette photographie s’est particulièrement distinguée du lot des photos de guerre qui se comptaient par milliers. En effet sa charge dramatique et son coté « miraculeux » qui sert parfaitement la cause politique des républicains l’ont propulsé sous les feux de la rampe, et elle a fait l’objet de doutes sur son authenticité en tant que document de propagande.

 

[1] Fontaine, La Guerre d’Espagne, un déluge de feu et d’images

Le montage Capa. Est-ce que c'est grave d'être un artiste ?
To be or not to be dead

 

 Polémique sur la propagande

 

 

 

Publiée à de multiples reprises cette photographie a fait le tour du monde pour porter un message orienté. Tout comme à l’extrême gauche de l’image un homme est en train de tomber, c’est la République espagnole qui est menacée et les civils et miliciens de gauche, d’extrême gauche, ainsi que les anarchistes, qui se font écraser.

Devant cette photographie, le spectateur contemporain sait que l’image est l’instrument d’un conflit politique et entre de ce fait dans la catégorie de propagande. Déjà à l’époque Vu, dans le numéro de juin 1936, titrait : « Vrai ou truqué ? La guerre d’Espagne, comme toutes les guerres, a donné naissance à une floraison de documents d’une authenticité douteuse ». Au-délà des photomontages comme ceux de John Heartfield, des photographies passant pour être prises sur le vif ont pu être soupçonnées d’être des mises en scènes.

 

Mais quelle véracité attaque-t-on ? Faut-il prouver que des combattants sont morts ?

 

Le milicien sur la photographie feint-il la mort ? On ne peut pas voir son visage pour examiner son expression.  Son attitude peut paraitre réaliste, d’autant que les spectateurs n’ont certainement pas vu un homme mourir d’une balle dans le crane. Mais c’est aussi cette attitude du reporter qui laisse planer un doute. Comment Capa a-t-il peu soutenir du regard l’instant de la mort, d’aussi près, de façon aussi claire, dans une attitude professionnelle ? Cette question a surgit dans un livre de Philip Knightley publié en 1975, qui reproduit notamment le témoignage d’un reporter sud africain du nom de Gallagher prétendant avoir rencontré Capa et appris de lui que la photo avait été prise en faisant jouer des miliciens républicains, et en produisant volontairement un flou pour faire plus « vrai ». Les propos de Gallagher ont par la suite perdu de leur crédibilité, mais la polémique a fait rage : entre autres, Capa avait donné des versions des faits différentes ce qui fragilisait l’argumentation. Les recherches ont été difficiles et les arguments souvent bancals car les négatifs ont été perdus (toutes les reproduction sont faites à partir du contre-type du vintage conservé au Museum of Modern Art de New York).

En 1996 Mario Brotons Jorda, un combattant de Cerro Muriano, a attesté que l’homme sur la photo était Federico Borell Garcia, et les archives ont pu ensuite retrouver que cet homme était effectivement mort à Cerro Muriano le 5 septembre 1936. En 2002 Richard Whelan publiait un article pour prouver l’authenticité de la photographie, riche d’une expertise de balistique en plus des précédents arguments.

En 2007, Jose Manuel Superregu, professeur de photographie à l’Université de, a mené des recherches concluant à un montage : le paysage que l’on voit en arrière plan ne serait non pas Cerro Muriano mais Espejo, situé à 50 km de là et où aucune bataille n’a eu lieu durant la guerre. La photo serait de plus une prise de l’après midi et non du matin, et le milicien ne serait pas Federico Borell Garcia.

Au cours de ces recherches la photo a été identifiée comme provenant d’un Rolleiflex puisque l’image avait été publiée en 6x6, et cela pourrait induire qu’il s’agit d’une photo de Gerda Taro. Pour autant, Taro et Capa avaient l’habitude de s’échanger leurs appareils et signer ensemble.

 

Finalement, on s'interroge sur le mythe Capa... et ce n'est pas plus mal.

 

 

 

Cette question a pu viser assez directement le « mythe » de Capa, comme reporter sincère, et aurait pu l’inquiéter à l’époque. Si Capa avait procédé à une mise en scène, cela aurait paru scandaleux, et l’on aurait pointé du doigt une influence du totalitarisme stalinien, voire des relents fascistes qui émeuvent un public avec de fausses images. Quel respect pour les vrais morts, et quelle conscience professionnelle ? George Soria, ancien combattant, disait que cela serait un « canular médiocre et méprisable ». Mais comme le soulignait un proche de Capa, Jimmy Fox, ex-archiviste de Magnum ce débat ne devait pas détourner l’attention de la grandeur de l’œuvre de Capa, dont la mort suffit à prouver le courage et la sincérité. De plus, les photos qu’il a prises le 16 aout 1944 d’une jeune mère tondue pour avoir eu un enfant d’un soldat allemand et emmenée en prison sous les railleries des habitants, témoigne par exemple de son œil humaniste et non doctrinaire.

Aujourd’hui l’enjeu est du coté de la recherche historique pour une Espagne qui revient sur l’histoire de sa guerre civile, comme ont pu le faire remarquer les protagonistes espagnols de la nouvelle controverse, le journaliste Alos de El Periodico et Sebastiaan Faber, un chercheur sur la Guerre Civile et professeur d’Etudes Hispaniques dans l’Ohio (US). Cette photo est tenue aujourd’hui pour être un montage : une image de propagande très calculée, et un précieux document historique.

Le montage Capa. Est-ce que c'est grave d'être un artiste ?
La construction d’un symbole

 

La perfection du hasard ?

 

Montage ou non, cette photographie est parfaitement construite. Tant l’angle de vue que le cadrage jouent rôle primordial pour renforcer le sens de la scène. Simon Guttmann, qui avait formé Robert Capa lorsque celui-ci travaillait en labo à Dephot, poussait ses photographes à adopter un angle émotionnel. Plus tard Capa fondera Magnum, une coopérative de photographes permettant de garder la propriété des négatifs et un droit de regard sur l’utilisation des images, pour échapper aux pressions de toutes sortes, ce qui signifie qu’il cherchait à affirmer un travail artistique propre.

Le milicien n’occupe qu’à peine un tiers de l’image. Il tombe sur le sol d’une colline en léger dénivelé qui sert de premier plan ; cette colline forme une diagonale tombant vers la droite de l’image. Cette ligne tombante fait écho à la chute du milicien, et donne plus de vertige à l’image. L’ombre du milicien, noire sur une herbe claire, fait une diagonale plus courte et plus « tranchante » par son angle et le contraste qu’elle crée. Elle accentue l’impression de chute par son angle, et plus encore parce qu’elle semble tracer au sol l’emplacement du cadavre la seconde qui suit le moment de la photo.

En effet le mouvement vif qui traverse le corps du milicien se répercute sur l’ensemble de la photo : on a envie d’imaginer le mouvement de sa chute, ses pieds glissant sur l’herbe. On voudrait même imaginer la trajectoire de la balle et le moment où elle a frappé le corps, parce que le cadrage laisse cette possibilité en laissant un espace vide du coté d’où la balle est venue.

Le dénivelé découvre un paysage assez plat au loin, de sorte que le paysage sur la photographie laisse une grande place au ciel. Ce ciel lourd de nuages gris écrase la scène et remplit le vide laissé par le cadrage, en lui donnant un sens. Ce gris diffus permet d’imaginer la trajectoire de la balle, de rejouer la scène ; mais lorsque l’on s’en tient à la photo, au moment de la mort du milicien, le ciel semble envelopper le mort d’un linceul sale. Le cadrage laisse le buste de l’homme se détacher sur ce fond abstrait. La tête dans les nuages, il a quitté ce bas monde. Le vide laissé par le cadrage est le vide de la mort, le silence de la mort.

L’expression de la mort par le vide rappelle ce que Baudelaire avait écrit de la Mort de Marat de David dans ses Ecrits sur l’Art : « une âme voltige ». La position du milicien, les bras écartés, embrassant la mort, fait de lui une icône de la mort, christique. Sa chemise blanche rappelle les vêtements du Christ. Ces éléments rappellent aussi Goya, dans le Tres de Mayo, qui peignait un fusillé les bras en croix pour l’élever au rang de martyr. Goya, peintre espagnol, faisait déjà vibrer des fonds noirs, abstraits, où se dessinaient des monstres, « songes de la raison », dans les gravures des Désastres de la Guerre.

On voit donc que cette image a des qualités artistiques indéniables, et raisonne, de façon hasardeuse ou de façon calculée – peu importe finalement -  dans l’histoire de l’art occidentale de façon très opportune. En effet, la position du milicien et ses comparaisons avec les victimes du Tres de Mayo ou avec Marat lui confèrent une valeur allégorique.

 

La qualité poétique et symbolique de l’image

 

La comparaison peut se justifier d’autant que la Mort de Marat relate le meurtre d’un montagnard lors de la Révolution française, et le Tres de Mayo celui d’une victime des guerres Napoléonienne : le parallèle entre ces « martyr » de la guerre est vite établit avec ce milicien anonyme tué par une balle franquiste.

Il s’agirait à première vue d’une allégorie du camp républicain espagnol. On peut soutenir que c’était la volonté de l’artiste, très séduit par une idée de l’Espagne anarchiste. Le milicien saisit au moment de sa chute vient à peine de lâcher son fusil : pas encore un cadavre, c’est le dernier instant où il est combattant. Capa a su lui faire un portrait de combattant en saisissant le dernier instant. Le fusil, se détachant entièrement sur le ciel, pointe encore le canon vers le ciel. Est-ce une menace faite à Dieu ? Cela irait dans le sens d’une image de l’anarchie espagnole, soulevée contre l’autorité (Ni Dieu, ni maitre). En effet si l’on lit décrit objectivement ce que l’on voit sur ce cliché, il s’agit d’un homme à l’extrême gauche qui tombe.

Sur l’image, son buste se découpant sur le ciel fait de lui une icône, auréolé de nuages lourds. Le message de cette image peut donc être que les martyrs sont aussi du coté républicain, bien que Franco s’appuie largement sur l’Eglise et diabolise toute la gauche par opposition. Seulement, cette image peut aussi être une allégorie de la guerre civile espagnole, les deux camps compris. Le personnage tombe seul, on ne voit pas un camp tirant sur l’autre. La raison commande d’imaginer un soldat, un sniper, quelque part dans le hors champ, mais sur la photo on voit seulement la tête du personnage exploser pendant qu’il tombe seul. L’Espagne, mal industrialisée, serait ce personnage habillé humblement. La guerre qui a déchiré des familles en divisant le corps civil en deux camps ennemis, a autodétruit l’Espagne. Le fusil noir et les bras en croix dans la chemise blanche du milicien se séparent sur la photo, à l’image des deux camps.

L’image de ce soldat fauché par une balle est devenue un « cliché », un « idéogramme de la guerre ».

 

Une image romancée dans une guerre romancée

 

Le mouvement qui anime le soldat, et le décalage avec le caractère statique du paysage, le vivant de la photo par opposition avec la mort décrite, sont autant d’oxymores qui scénarisent et romancent l’action.

Capa avait effectivement des affinités avec le monde du cinéma. Son appareil, le Leica, est adapté aux films en rouleau du cinéma. Robert Capa aurait été un nom inspiré de Frank Capra (metteur en scène) et de Robert Taylor. Taro pris à une artiste japonaise Taro Okamoto, et créé une consonnance avec Greta Garbo. Il rencontre Hemingway à Madrid à l’hotel Florida en mai 1937. Après la seconde guerre mondiale il aurait voulu s’orienter vers le cinéma, ce que rapporte Willy Ronis, et commença une idylle avec Ingrid Bergman. Il fut d’ailleurs photographe de plateau pour le film de Hitchkock, Notorious.

Pour comprendre dans quel esprit a été prise cette image, il faut sans doute prendre en compte cet engouement pour le cinéma, couplé avec l’enivrement du climat anarcho syndicaliste de la guerre d’Espagne et l’enivrement de l’amour qu’il partage avec Gerda Taro. Lorsqu’ils arrivent en Espagne Capa et Taro prennent plaisir à photographier les jeunes miliciennes, nonchalantes et fascinantes. C’est Gerda qui l’avait persuadé de pouvoir « lutter contre le fascisme » par la photographie, et avec elle il a réalisé des images qu’ils signaient ensemble et qu’il a regroupé dans Death in the Making, publié en 1938 pour lui rendre hommage. Après la mort de sa compagne ses images seront moins fusionnelles avec le sujet, quoique toujours passionnées.

Comme dans un film où le metteur en scène connait déjà la fin du film, on peut penser que Capa voulait aussi frapper les esprits des lecteurs qui verraient cette image en leur montrant un dénouement tragique de la guerre : et si la guerre se soldait par la mise à mort de la république espagnole ? Certains auteurs ont pu parler d’une « prémonition » de la chute de la République, il est peut être plus juste d’y voir un message destiné à mettre en garde.

 

 

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